264e jour : Entre érotisme et misère, bienvenue à Khajuraho !

Le matin à la sortie du train, de nombreux tuk-tuk viennent à notre rencontre pour nous proposer un forfait journalier afin de faire le tour de tous les temples de la ville. Pas convaincus, nous préférons attendre l’ouverture de l’office de tourisme et des guichets pour s'assurer de la meilleure option à choisir, mais aussi pour réserver le billet pour Agra, le soir même. Et de toute façon, il faut aussi laisser nos sacs ici, et donc, il faut attendre l’ouverture du local de stockage. En attendant, nous prenons plusieurs petites coupes de thé masala, délicieuses, peu chères et déjà disponibles vers six-sept heures du matin dans un des commerces de la station.

 Quelques minutes plus tard, un responsable nous explique que les billets pour Agra en deuxième classe – couchette partent bien d’ici mais qu’ils ne s’achètent pas dans ce terminal, mais à la gare routière, un peu plus loin. Un de ses collègues nous donne aussi une fourchette de prix pour faire le tour de la ville en tuk-tuk, il nous explique que cela reste la meilleure solution pour découvrir tous les monuments en une seule journée à moindre prix. Nous suivons donc ses conseils et partons négocier avec les chauffeurs de tuk-tuk qui nous attendent impatiemment à la sortie de la gare..

Une fois à bord du véhicule, notre priorité est bien sûr de partir en direction de la gare routière afin de vérifier la disponibilité des billets pour Agra. Mais une fois la réservation faite, nous débutons la visite de Khajurâho par un premier temple peu célèbre.

Le fameux kâma-sûtra présent sur toutes les sculptures, ici en haut et à droite

Il faut savoir que les sites archéologiques de Khajurâho sont l’œuvre de la dynastie des Chandella, qui connut son apogée entre 950 et 1050. Les temples de Khajurâho dont il ne subsiste plus que 22 édifices sur les 85 originaux se répartissent en trois groupes distincts classés selon leur localisation. Ils appartiennent à deux religions différentes, l'hindouisme et le jaïnisme et réalisent une synthèse exemplaire entre l'architecture et la sculpture. C'est ainsi que le temple de Kandariya est décoré d'une profusion de sculptures qui comptent parmi les plus grands chefs-d'œuvre de la plastique indienne.

Les sculpteurs de Khajuraho illustrent tous les aspects de la vie, dont on tenait alors à aborder avec franchise, et ouvertement, toutes les facettes, y compris le sexe. A ce titre, les moeurs de l'époque étaient étonnamment plus libérales qu'aujourd'hui. En effet, par exemple, à l'époque où l'ouvrage du kâma-sûtra a été rédigé (VI-VIIe siècle), les femmes jouissaient d'une certaine liberté, et les pratiques sexuelles considérées comme déviantes (homosexualité notamment) étaient tolérées.

Mais le Kâmasûtra, principalement connu dans le monde pour ces 64 positions sexuelles traite également d'un art de vivre qu'une personne cultivée se devait de connaître. Il aborde par exemple l'usage de la musique, la nourriture, les parfums... Ici à Khajuraho, c'est un peu la même chose, car les scènes érotiques sont cantonnées à certaines parties du temple, le reste étant tapissé de représentations évoquant d'autres aspects de l'existence, profanes ou sacrés.

Le guide qui se vante de connaître des fresques cachées, nous accompagne pendant la visite et nous montre des dessins pourtant bien visibles, en nous expliquant que la plupart des touristes ne les voient pas… Cela nous donne plutôt l’impression qu’il essaye de justifier ses tarifs^^… Bref, ce premier temple a en tout cas le mérite de donner le ton de la visite, et nous met rapidement dans l’ambiance. Les temples sont magnifiques et les fresques très bien conservées (même si parfois restaurées), ce qui est remarquable pour des temples du Xe et XIe siècle. Nous pouvons ainsi admirer les différentes représentations du Kâma-Sûtra, il y en a pour tous les goûts (hommes, femmes, animaux, etc), c’est assez surprenant !

On enchaîne ainsi plusieurs temples de la sorte, notamment les groupements Sud et Est. En chemin, je rencontre un petit garçon d’à peine 7 ans qui essaye de nous vendre des livres du Kâma-Sûtra comme le font la plupart des indiens dans le coin. Il se débrouille plutôt bien pour négocier les prix et ses parents ont dû bien lui expliquer qu’il ne faut pas hésiter à arnaquer les touristes.

Il me demande en effet dans un premier temps de lui donner des devises de mon pays car il m’explique en faire la collection. Puis, comme je lui dis que je n’en ai pas sur moi, il me propose de me vendre un billet sud-coréen contre quelques roupies prouvant ainsi qu’il n’a en fait que faire de sa collection et que seul l'argent l'intéresse. Par contre, j’ai moi-même réellement commencé une collection de devises étrangères depuis le début de mon voyage, et la Corée du Sud n'étant pas au programme, je lui dis que je suis intéressé pour échanger son billet, mais le jeune garçon est habile pour son âge et il est difficile de négocier avec lui. Je le félicite alors de ses capacités de marchandage.

Et à ce titre, une fois la transaction accomplie, pour plaisanter avec lui, je lui propose d’acheter ses vêtements. Lui, garde tout à fait son sérieux et me dit qu'il est prêt à tout vendre même son caleçon, à condition qu’il puisse l’échanger avec le mien, ce qui ne manque pas de faire rire son père à côté de lui et mes amis chinois.

Entrée du groupement Est

Intérieur du temple

Groupement Sud

Une autre fresque murale sur un des temples... Sans commentaires^^

Après cet épisode amusant, nous nous rendons dans un restaurant du centre-ville conseillé par notre chauffeur. Encore une fois, les tarifs sont très raisonnables et le repas assez bon et après avoir terminé, nous allons au groupement Ouest qui rassemble les principaux temples parmi lesquels : Varaha, Lakshmana, Kandariya Mahadeva, Parvati, et Vishwanatha.

Temple de Kandariya, le plus haut et plus impressionant de Khajuraho

Autre fresque murale du groupement Ouest

La visite est plus longue que celle du matin et je me sépare des chinois pour explorer les temples à ma guise, dont notamment le temple de Kandariya, le plus impressionnant d’entre eux et le plus célèbre de la ville. Mais malheureusement une heure plus tard, je ne les retrouve pas à la sortie du site. Je commence alors à les chercher autour du site, mais il n’y a personne, si ce n’est un petit garçon indien très gentil qui parle un peu anglais et qui saute sur l’occasion pour m’aider. Je lui explique que je ne veux pas lui donner d’argent car je peux me débrouiller seul mais il me dit qu’il souhaite m’aider gratuitement. Je ne le crois pas vraiment au début, mais comme il est très attachant et que finalement il semble désintéressé, j’accepte son aide. Après une bonne heure de recherche, je finis par me dire que mon groupe est déjà parti avec notre chauffeur, je suis alors remonté, car je trouve tout à fait déplacé de continuer le tour sans moi, alors qu'ils savaient clairement où m’attendre. Bref, l'individualisme chinois dans toute sa splendeur...

Après réflexion, je me dis que de toute façon, si tel est le cas, j’en sors gagnant car je n’ai encore rien payé. Et s’ils sont partis sans moi, je ne paierai au final qu’une simple course de tuk-tuk pour revenir à la gare, puisque je ne paierai pas l’ensemble du tour débuté depuis 8h du matin. En me disant cela, j'arrête de les chercher et j’invite le petit garçon à monter avec moi à la terrasse d’un café touristique de la ville, restant tout de même à proximité de l’entrée du groupement Ouest des monuments, dans le cas où mon groupe finirait par revenir.

Le serveur me demande alors si le garçon indien me dérange mais je lui explique qu’il est mon invité. Je dois dire que j’ai vraiment l’impression que ce gamin a essayé de m’aider du mieux qu’il pouvait, et puis il m’a aussi montré un des temples moins connus de la ville en pensant me faire plaisir. Je crois qu’il se réjouissait seulement de pouvoir marcher à mes côtés et de sympathiser avec moi. Bref, c’est un gosse très gentil et pour le remercier je lui ai acheté un gâteau au chocolat, alors que de mon côté, j’ai commandé ma première bière d’Inde (un peu chère car ici ce n’est pas une spécialité).

Indiennes traversant la rue dans leur tenue traditionnelle : le sari

le garçon qui a essayé de m'aider à trouver mes amis chinois

Je rencontre alors un belge et un couple de français sur la terrasse, et je profite du fait que les français ont le routard pour préparer les prochains jours de mon voyage. Et c’est alors que, me voyant assis à la table, mon groupe me fait signe de les rejoindre. Je quitte alors le belge avec qui j’avais démarré une discussion et le petit garçon très sympa, pour descendre à leur rencontre. J’en profite alors pour remercier chaleureusement le jeune garçon en lui disant de prendre bien soin de lui.

 Les chinois m’expliquent ensuite qu’ils avaient en fait prolongé leur visite à l’extérieur du groupement de temples et s’étaient ainsi éloignés du point de rencontre. Ils m’expliquent aussi qu’eux non plus, n’ont pas vu le chauffeur. Il a indéniablement du retard…

Et c’est quand nous commençons à penser à quitter les lieux avec un autre tuk-tuk, que celui-ci arrive et nous interpelle. Il nous demande alors si nous voulons poursuivre la visite de la ville ou revenir à la gare. Disposant de largement assez de temps, je propose que nous visitions le musée tribal de la ville, peu connu, mais recommandé dans le guide du routard et nous y allons donc tous ensemble.

Art tribal indien su XIIe siècle

Il est tout à fait différent du reste des temples que nous avons découvert aujourd’hui car il ne s’agit pas ici d’architecture. Cependant ce musée s’inscrit aussi dans la logique et la lignée de la dynastie Chandella, car il met en scène des objets d’art tribaux de l’époque. Il est donc un complément intéressant de tous les monuments visités précédemment car il permet d’associer des peintures, des sculptures de terre cuite, de bois ou même de métal à la civilisation de l’époque et ainsi mieux comprendre leur niveau de développement. C’est d’ailleurs assez amusant, car à première vue, je croyais qu’il s’agissait d’objets africains. Personnellement, je trouve en effet qu’il y a de fortes ressemblances artistiques entre ces deux cultures.

Après cette courte visite, nous passons ensuite devant l’unique église catholique de la ville. Elles sont en effet très rares en Inde, et je prends donc une photo de ce qui sera, la seule église que j’ai vu de tout mon séjour ici.

Nous traversons aussi un hameau, assez peu développé en périphérie de la ville. Il est resté assez sauvage ou en tout cas assez traditionnel dans sa construction et dans la façon dont les gens y vivent. Cela est certainement possible parce qu’il est situé assez loin des principaux monuments et donc par conséquent ne subit pas trop l’influence du tourisme. Mais du même coup, il correspond malheureusement tout à fait à l’idée que nous nous faisons de la pauvreté ambiante dans les pays du Tiers-monde.

Scène quotidienne d'un homme allant chercher de l'eau courante au centre-ville et se lavant par la même occasion

Eglise catholique

Mère de famille ramenant de l'eau et de la nourriture chez elle

Petite fille rencontrée en fin de journée, son regard m'a transpercé... !

Toutefois, je crois qu’il est aussi intéressant de voir l’envers du décor que le site archéologique, car l’Inde, c’est toujours et encore, toute cette misère et pauvreté qui frappe cette multitude de familles dont on ne parle pas. Evidemment, en tant que touriste, il est impossible d’y échapper de toute façon, mais dans ce village (qui ressemble à une province campagnarde) on peut retrouver une authenticité et une simplicité chez les gens qui ne peut que nous toucher et nous émouvoir. Et j’ai surtout ressenti cela dans le regard des enfants qui est d’une intensité exceptionnelle.

D’un point de vue purement photogénique, je crois d’ailleurs que c’est ici que j’ai pris les plus belles photos de mon voyage et je serai bien resté plus longtemps pour pouvoir en profiter pleinement car je pense en effet que les chances de prendre de splendides clichés ici sont incroyablement élevées. A vous de juger !

Cela dit, le prix à payer est une grande remise en question car être un témoin privilégié de toute cette pauvreté et de cette authenticité ne peut pas laisser indifférent. Pour ma part, la rencontre de la petite fille que j’ai prise en photo (cf ci-dessus) m’a presque bouleversé. Son regard était tellement pur et intense qu’il m’a fendu le cœur et je n’ai alors pu m'empêcher de culpabiliser sur le confort de notre société occidentale. Pendant un long moment, je me sens en effet mal à l’aise et je voudrais faire quelque chose pour eux. Quelque chose de plus que simplement quelques roupies, qui ne permettent au final que de s’acheter une bonne conscience…

Et c’est après ces moments forts, que nous revenons à la gare ferroviaire, nous avons terminé la visite de la ville et nous montons dans le train qui va nous emmener à Agra. Nous avons un wagon couchette et cette fois, nous n’aurons pas à changer de voiture pendant le trajet, c’est déjà un soucis en moins…

Comments

[Les Escoutouloux]

Youpi! Tu reprends ton récit. Que de contrastes, la Misère et ces superbes temples!

A bientôt. A Agra sans doute.

Hélène